M. X, 52 ans, est hospitalisé dans mon service depuis bientôt 3 semaines, pour un syndrome cérébelleux (comme s'il était bourré) de survenue brutale et persistant.
Il ne tient plus debout et souffre d'une ataxie majeure lui pourrissant littéralement sa vie quotidienne.
Depuis 3 semaines, j'ai fait presque tous les examens possibles, sans comprendre l'origine de sa maladie.
Ce malade reste un mystère et je me retrouve dans une impasse diagnostique et thérapeutique.
J'ai trouvé de l'aide auprès du service de neurologie de La Réunion.
On dit dans le jargon local que le patient va être "évasané" (conjugaison d'EVAcuation SANitaire) afin d'étiqueter sa maladie et de le soigner convenablement.
Là ne réside pas l'originalité de mon histoire.
Ce patient est diabétique, sous insuline depuis longtemps.
Nous surveillons par principe chaque jour, plusieurs fois les valeurs de sa glycémie, pour ajuster ses doses d'insuline.
Alors voila : depuis quelques jours je m'aperçois qu'il présente régulièrement des hypoglycémies que je ne m'explique pas, car M. X est alité en permanence et ses repas sont équilibrés!
Je questionne le patient et sa réponse est un électrochoc. Une décharge électrique qui vient secouer mon petit monde bien protégé, loin des priorités essentielles qui le préoccupent.
"Docteur, tu dois me faire sortir de l'hôpital au plus vite. Je dois aller à la banque chercher de l'argent pour ma femme et mon enfant. Depuis 4 jours, ils n'ont plus d'argent pour acheter à manger et mon enfant, il est à la maternelle. Ils ont faim docteur, et moi je suis bloqué ici. Je dois partir."
Sa femme n'a pas procuration sur son compte et ils n'ont pas de carte bancaire (son usage est d'ailleurs assez récent à Mayotte).
L'explication de ses hypoglycémies est évidente : M. X, 52 ans, diabétique, hospitalisé pour une maladie inconnue mais terriblement invalidante, partage ses plateaux-repas avec sa femme.
Il lui donne une grande partie de son contenu "régime diabétique", qu'elle emmène pour nourrir son foyer sans le sou...